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Intervention réalisée par Fabien Bellat et Clément Lemoine, à l’église Ste Eustache (Paris), le 29 août 2001
Fabien dessine, Clément écrit.
L’écriture court après les images, trop véloces pour permettre la phrase mûrie. Alors les associations d’idées sont hasardeuses, mais quelquefois touchent juste, sentent juste.
Le dessin est brouillon, voire composition. L’écriture recherche un sens hermétique. L’image se fait Beaux-Arts, genre concours pour le Prix de Rome d’architecture au dix-neuvième siècle.
Fabien maîtrise l’académisme jusqu’à le recréer ; Clément reste dubitatif . L’esprit Beaux-Arts est mort, c’est pour cela que Fabien Bellat se plait tant à le recomposer de sa fantaisie érudite.
Cependant les colonnes, les frontons, les dômes (il a la coupole facile !) le lassent bientôt ; il resonge au château visible dans son roman, à la maison qu’il imagina autrefois pour son ami le compositeur Alexandre Fontaines… et maintenant au tour de Clément Lemoine de poser ses conditions pour se faire construire une maison bellatesque.
Regardez.
Lisez.
Sentez.
                                F. BELLAT
                                C. LEMOINE

  

Echauffement (tant pour le constructeur que pour le copiste)

            Au premier abord, quelques formes géométriques s’accrochent les unes aux autres. Mais avant que j’aie pu aligner ces quelques mots, c’est un bâtiment tout entier qui apparaît.

Deux immeubles surmontés de toits en bâtière, au trait très rude.

 

 

Feuille d’études

            Quelques traits, et puis les rectangles se précisent : c’est une vue en géométral. Tiens, on dirait Moulinsart : ce doit être un château.

Deux ailes avec toits en pavillon, prenant en sandwich le bâtiment. Il y a un lanternon sur le toit, très imposant, culminant l’axe de symétrie. Il a la coupole facile. A côté, des épis (barré) des obélisques à foison.

Sur le nouveau croquis, quelle honte : il n’y a pas de lanternon ! Bientôt, il n’y aura peut-être même plus de coupole. Il faut s’attendre à tout (ce sadique me malmène, il est content de son jeu). Sous la coupole, le toit se dessine tout seul, mais avec de simples esquisses : écrasé sous le poids.

Sans la moindre perspective, il ajoute un campanile : pour la puérilité (même les maniaques de l’architecture en ont). Les deux fenêtres du centre sont comme deux yeux au milieu du visage entre l’oreille campanile et la masse cervicale de la coupole.

Un autre dessin : à côté du bâtiment, une tour, surmonté d’un lanternon.

Ici, je croyais que c’était un bus ; mais des colonnes arrivent ! un fronton.

Une serlienne –vite abandonnée, c’est une forme qui intéresse peu Fabien parce que trop surannée. Il faut dire qu’on ne peut pas ne pas penser ici à des généraux au triomphe.

Avant de changer de feuille, une remarque : Fabien va vite.

 

Distribution baroque

            Un bâtiment en croix : c’est une vue aérienne d’une nef. Des ailes se déploient tout autour : d’autres croix, d’autres creux, indéfiniment, avec un je-ne-sais-quoi d’organique. Et ça ? Une coupole (il a la coupole facile). On dirait que ce sont des objets qui se sont encastrés les uns dans les autres.

Une cour, des barbelés (sic).

C’est amusant, une colonne vue d’avion (pas d’avion pourtant, surtout à l’époque baroque ; vue par Dieu peut-être ?) : des points. Dieu voit plus facilement les colonnes que les hommes.

Une grande allée amène vers la structure d’ensemble : il s’agit d’un palais bien matériel, bien peu spirituel. Pourtant il voulait que ce soit une église.

C’est un plan d’ensemble, une distribution baroque.

Fabien noircit les cases. C’est une autre forme d’esquisse d’architecture. Le noir remplit le blanc, le trait dévide l’espace. Il ne s’agit plus de construire, mais d’équilibrer : le décor aussi fait l’œuvre.

Et tiens, il y a des colonnes dehors maintenant.

Nouvelle remarque : si Fabien faisait de la formule 1, Schumacher ne serait jamais champion du monde.

 

Château de Coquéreaumont (Normandie)

            Ah, on dirait une vue en géométral. Deux ailes sur le côté, un bâtiment au centre, avec trois larges ouvertures sur le côté.

L’emmarchement est très sombre. Fabien dessine toute la façade avant le toit. Pourtant, c’est celui-ci qu’il attend et qu’il prépare : un attique soutient un fronton courbe brisé et l’irrésistible dôme.

Deux lucarnes et deux épis de faîtage complètent la symétrie. Sur les pavillons, des bossages à la Romaine…

Voilà le plan en U (pourquoi un U ? c’est très déséquilibré). La coupole est à la Gabriel ; derrière, les bâtiments ne sont cette fois plus accrochés les uns aux autres : c'est une masse.

Puis c'est une vue en perspective avec un dôme sur plan carré comme Fabien les adore. C’est étonnant qu'il ait placé cette vue en perspective derrière la géométrale : comme si la feuille elle-même était composée, architecturée.

Technique très Beaux-Arts, l'académisme pur : la manie du château ; mais rare maladie, les châteaux en Espagne.

Plan en coupe : j'ai du mal à reconnaître. Il faut dire qu'il envoie sa pensée en coup de vent ; le dessin peine à suivre (et moi aussi)

Fabien précise qu’il voudrait utiliser le site de Coquéreaumont pour construire vraiment un château, tant il aime l’endroit.

 

Voilà un vrai Palais des Beaux-Arts (encore)

            En géométral : un dôme en plan carré sur un fronton ; quelques traits pour constituer une allégorie (le sujet importe peu c'est de l’allégorie pour l’allégorie). Fabien ne résiste pas à une petite provocation dans le lanternon – c’est-à-dire qu’il le prive d’un étage, le faisant paraître cul-de-jatte – pour affiner la silhouette par des obélisques.

Le bâtiment est complété par un entablement (les profs des Beaux-Arts au XIXe adoraient ça). Les colonnes se complètent. Le soubassement est large et lourd, avec des beaux-sages (comme les beaux-arts). A chaque élément, Fabien lance une pique ironique, amusée, à propos du système bel artien.

Des allégories express, puis de grands traits pour tout achever. La masse doit être déterminée rapidement. Bâtiment public : l’entrée doit être imposante. De formules en formules, l’apparence s’affirme (esquisse-concours)

Une petite fontaine avec des statues pour faire plaisir aux sculpteurs. Les petites allégories se multiplient et se transforment en grande allégorie. C’est encore une « recette » Beaux-Arts qui soutient la fontaine : elle est à la romaine, avec un nymphée. « Il faut être conscient que ça reste un jeu » dit-il.

D’énormes colonnes à l’allemande entourent l’aile centrale – pour l’encadrer visuellement. Un attique rappelle la structure générale, surmonté par de grands épis.

Il grimace : les pavillons latéraux ne sont pas assez raccrochés. Le genre de truc qui serait l’échec au prix de Rome… Problème : comment termine le bâtiment dans la tradition ? Mieux vaut laisser les pavillons en terrasse. Finalement Fabien rajoute des lanternons manière Renaissance.

 

Les grands yeux

            Fabien commence une fois de plus par le toit. Par instants, on dirait des cheveux, ou une tente : quelque chose d’instable. D’ailleurs, ce n’est pas le toit. Ah si. Les colonnes supérieures m’ont induit en erreur. C'est une structure médiévale, me dit Fabien. Et quelque chose de très important pour lui, qu'il n'a pas dessiné depuis des années.

Les colonnes sont trois et surmontées de lanternons (je crois). Ca y est, j’ai compris, ce n’était pas un toit, mais la colline sur laquelle le bâtiment est posé.

Il dessine les éléments dans le désordre, travaille le détail sans avoir établi la masse. Le détail n’est que de la coquetterie, dit-il, l’apanage des élèves du prix de Rome. La marque du génie est ailleurs…

Le programme s’éclaire : un château à défendre.

Les fenêtres ajoutent à l’aspect imposant d’un château sur la verticale.

Le plus dur, dit-il : la Tour.

En passant, il me dévoile le secret. C’est la tour d’ivoire d'un certain personnage. Le donjon central est donc mystérieux et imposant. Il est d’abord extrêmement vertical, avec deux tourelles sur le côté en oreilles de diable. Finalement, il se tourne plutôt vers une solution en coupole (il a la coupole facile).

 

Le Pavillon

            Cette fois, la structure est horizontale. Et très rectangulaire. Après la masse, Fabien rajoute des fenêtres. C’est une vue en géométral assez nette. Une architecture mussolinienne ? se demande-t-il. (il passe d’une époque à l’autre sans prévenir)

Insatisfait, il rajoute une demi-rotonde sur le devant qui casse la platitude. Il évoque la Maison Blanche, pour le mauvais souvenir. D’un bout à l’autre de l’idéologie.

Maintenant, ça devient soviétique par quelques détails : dans les fenêtres, dans les lanternons.

Il faut maintenant terminer le bâtiment, le faire passer de la masse à l’existence. Des panneaux vitrés post-modernes, puis au-dessus un attique avec des frises (soviétiques) et un toit provençal. Le bâtiment tourne à la création. Pour animer, il rajoute des nuages, un arbre. Puis une pyramide sur le toit.

Mais au bout de deux traits, il abandonne et surélève par un lanternon néo-classique, genre France années 1780, Ledoux et compagnie.

 

La Demi-perspective

            Maintenant, Fabien dessine en perspective. Des pignons gothiques américanisent une silhouette soviétique. Rectification, il n’y a aucune perspective : « c’est bon pour la Renaissance ». Problème, le sommet devrait être au-dessus de la feuille ; il va falloir truquer avec l’architecture. En attendant, il redescend, illustre des fenêtres et des lucarnes sur le tout. (Non ce ne sont pas des lucarnes, mais le haut des fenêtres.)

Il dessine de grandes fenêtres centrales. De gros pinacles remplissent la façade.

Son feutre remonte vers le haut, hésite, puis s’attache à un sommet possible : un attique, un fronton, une chape à l’alsacienne qui se transforme en coupole astronomique.

Il s’agit de dessiner ce qui aurait pu être l’architecture américaine sans la crise de 1929. L’uchronie architecturale, en somme. Fabien apprécie cette tentative globalisante de l’Amérique, opposée aux Beaux-Arts. Ce décalage amusant, retenté en face par Staline, est aussi une forme de baroquisme.

Maintenant, il esquisse l’aile gauche. Et s’arrête : pas trop de visuel, c’est juste une création.

 

La maison d’Alex Fontaines

            Retravailler  un projet vieux cinq ans : c’est la mémoire qui guide la main autant que le savoir. La condition de départ, c’est un bâtiment heptagonal, c’est-à-dire architecturalement impensable.

Trois bow-windows s’avancent sur la façade. Au centre, une serlienne, équilibrée par des fenêtres de chaque côté et sur les façades annexes. Au sommet, le toit se termine par une tour. Puis Fabien revient au sol, rajoute quelques fioritures le temps d’affiner le projet, puis achève la tour-lanternon. Des lucarnes complètent les façades.

Les nombreuses fenêtres évoquent un animal aux yeux tout autour du visage, ou une caméra à 360 degrés. Cette maison ne pourrait se situer qu’au milieu d’une place.

Maintenant, le plan en coupe : le rez-de-chaussée se découpe en trois parties. Fabien s'interrompt pour faire le plan en disposition. L’entrée débouche sur un rond central qui dessert toute la maison : salons, cuisine et débarras.

Retour à la coupe : un escalier descend dans un bunker pour protéger les œuvres d'Alex, comme pour contrebalancer l’aspect couvert de la maison. Le lanternon éclaire jusqu'au rez-de-chaussée par un escalier en colimaçon.

 

Ma maison à moi

            Fabien me pose des questions, auxquelles je réponds tout bien que mal. Deux façades, dans une construction mitoyenne. D’un côté, une façade concave ; de l’autre, convexe.

L’entrée se situe sur les deux façades, qui débouche sur un long couloir. Côté sud, une grande rue avec un parc. De l’autre, une rue plus petite.

Il déplace la porte. Il départage quelques pièces.

            Deuxième étude : à la fois rez-de-chaussée et étage. Il s’agit de questions plus fonctionnelles. Le couloir prend le nom de vestibule, Fabien oublie l’escalier (évoque Flaubert et le Dictionnaire des idées reçues) et retouche le rez-de-chaussée.

A l’étage, une salle de bains en face de l’escalier.

La pièce face à la baie vitrée doit être longue ; Fabien me prévient, c’est immeublable. Me voilà bien.

Il met deux portes à la salle de bains (j'imagine déjà les vaudevilles que je pourrais y jouer). Puis une penderie de l’autre côté de la chambre. Près de l’escalier, une chambre d’ami. Une autre chambre avec la porte face à la première, pour donner de l’ampleur au volume.

            Grenier : pas de fenêtre sur le côté, pour éviter la lourdeur. Il suggère des cloisons légères, entre des espaces laissés à la disposition de l’avenir. Une poutre intérieure permet de faire monter les meubles.

            Coupe latérale : Fabien rajoute une cave. (Entre parenthèses, la façon dont il dessine l’escalier en colimaçons m’évoque le serpent d’Esculape : le médecin conduit à la cave – la santé est dans le vin.) Sur le toit, une partie se détache en terrasse.

            Géométrale sur rue : il dessine des immeubles hausmanniens, puis abandonne l’esquisse pour en reprendre une autre. Le nouveau rez-de-chaussée est assez écrasé, explique-t-il, à l’américaine, tandis que l’étage est plus haut pour la méditation. La géométrale tourne à l’hôtel particulier. Même les WC ont droit à la fenêtre pour la symétrie. C’est une maison à la fois classique et moderne, dit Fabien. Je me demande quels fantômes pourraient bien la hanter : voilà qu’il rajoute des lucarnes chinoises ! Il faut croire que même les bâtiments neufs ont une histoire.

   

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Palais Romain

Un palais presque Romain
…ou une architecture d'un historicisme fictif

 

Ce dessin a une particularité : il use et abuse du vocabulaire architectural public Romain. Ce avec une emphase tanguant dangereusement vers l’incohérent. Et pourtant, ce palais est par bien des aspects plagié du Palais des Césars, sur le mont Palatin  à Rome. Ou, du moins, tel que l’a restitué Dutert en 1868-1871. Du projet de restauration du Prix de Rome, j’ai tiré l’essence .J'ai ensuite remodelé la démarche de l'architecte éclectique, je l’ai séparée des contingences de la restitution archéologique ( pur caprice de dessinateur ), je l’ai enfin rendu anachronique par l’incorporation d’éléments baroquisants très postérieurs à l’architecture impériales Romaine ( par exemple, les espaces de liaison entre les deux salles aux hémicycles ). Mais le “ monstre ” reste cependant cohérent, logique. Atrium, portique, galeries, salles voûtées ou non, espaces grandioses, abus décoratifs des ordres et des colonnes, asymétrie savante, cohérence du tout dans la volonté démonstrative et fastueuse tout en réservant des espaces d’intimité… Tous les ingrédients sont réunis pour réaliser un palais romain du Ier ou du IIème siècle après J.C. Mais voilà, ce n’est pas un palais Romain authentique…

Mais voilà, il ne s’agira jamais d’un original. C’est une copie hypertrophiée, métamorphosée, synthétisée. La démarche a beau être absurde – ce genre de bâtiment étant proprement irréalisable de nos jours – elle permet l’exploration de l’art d’une époque en s’efforçant de recréer en soi la conscience d’un architecte Romain. Si cette esquisse, sans finalité, est illusoire dans son principe, elle permet néanmoins de s’imprégner d’une mentalité créatrice. En vérité, on ne fait pas œuvre de plagiaire mais plutôt d’amateur éclairé qui revisite son modèle - sans tomber dans le carton pâte et dans les délires de décorateurs hollywoodiens où le kitsch n’a d’égal que l’injurieuse ignorance archéologique. A quand le péplum qui ne se ridiculise pas par le grotesque de ses décors ? Ce dessin, à sa mesure, est une forme de réponse ni d’une érudition prétentieuse, ni d’une stérilité créatrice.

 

Fabien BELLAT

21 juin 2000

 

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La maison à l'envers
(croquis préparatoires de Fabien Bellat, sur une commande d'Henrri De Sabates)

 

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