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Pour
le moment, il erre sur ce sable à marée basse. "Sables
Dorés".
Ailleurs,
à l'ombre d'une autre minérale falaise, Adrien Bédot
harcelait un sable moins diaphane que celui foulé par Stéphane
et Félix. La plage élue d'Adrien tenait du mausolée
caché, les nombreux buissons enterrant la place à
tout regard épris de luminosité. Bédot se complaisait
à remuer les surfaces les plus poisseusses.
L'hôtel
affiche "faillite pour cause de chute".
Fabien BELLAT
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(Chapitre III) Dehors, narguant le vide
stellaire, rouge, aussi rouge qu'il le faut, le portrait du grand
précurseur Vladimir Illitch Oulianov, Lénine. Pavel se souvenait combien
alors il était impatient de rejoindre ses téméraires
et fraternels camarades de la GAUR ! Il n’eut pas à se retourner. Son instinct
l’avertissait déjà. Surtout que ses sens étaient
démultipliés par le capteur sub-organique greffé
en lui dès sa plus tendre enfance par les services de la
Guépéou pédobiologique. Ilya
BORODINO
Lorsque Lénine rencontre CassandreLe saviez-vous ? D’après ce que
m’a dit Fabien, l’écriture de cette nouvelle soviétique
a été faite en vérité sous les ombres
ecclésiastiques. Clément Lemoine (d’après la confession
peu contrite de Fabien Bellat)
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[Note de l'Archiviste : le texte est en cours de typographie ; il sera bientôt mis en ligne]
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[Note de l'Archiviste : le texte est en cours de typographie ; il sera bientôt mis en ligne]
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Le Document Jumièges
Comme Ilya Borodino a parlé dans son « Une visite en Normandie
» du roman qu'écrit Fabien, je l'ai harcelé afin qu'il nous
montre un petit document relatif à ce fameux roman. Voilà, c'est
simple : souvent Fabien aime connaître les endroits sur lesquels il écrit,
donc il travaille régulièrement à partir de photos. Plutôt
que de se servir de sources livresques, il aime autant que ce soit ses propres
photos, qui sont déjà un peu sa vision romanesque.
Aussi ces photos de l'abbaye de Jumièges en Normandie sont relatives
à un des rares passages du roman se déroulant dans la région
(c'est ainsi que Fabien répond à Ilya, mais dans un autre lieu
que celui évoqué dans « Une visite. »).
Jumièges est évidemment un endroit très romantique. Imaginez-le
sous un ciel plombé et vous aurez une atmosphère lugubre. Les
photos de Fabien donnent un beau jour d'été, mais les cadrages
sont d'emblée ceux d'un regard désincarné, instable. Alors
la transcription romanesque peut s'installer. Tout ce qu'il a accepté
de dévoiler est que dans le livre Jumièges sert de lieu de rencontre
pour deux déments.
Clément Lemoine
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En bas, la ville. Une ville qui voudrait se nommer abri, havre
de paix, et qui n'est que point de chute.
[Note d'Erbefole : Fabien broie du noir. Cela se voit. Faut dire, Le Havre.]
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Les
Carnets Intimes D’Axel de Saint fonnare
Prélude Rends moi mon visage…
Prose 1 “14 février 2002 ” le 1 avril 2002 Je dédie ce texte à Chris… M…, en reconnaissance de toute la souffrance qu’il m’a faite subir. Aujourd’hui voit éclore une fleur… battue, rossée, désolée, elle est poursuivie par un monde froid et cupide que même Cupidon dans sa folie Amoureuse a quitté… d’un saut… d’une corde. La fleur naïve, observe, impassible ce paysage infernal sous une allure au combien angélique qui tout autour la berce…. Elle observe et n’y entend rien si ce n’est un leurre… un chant spleenétique raisonne, la fleur agonise : de part en part ce paysage maudit lui perce le corps… Elle hurle de douleur en voyant se rappeler à elle toutes ces années stériles, défilant, et submergeant son esprit, telle la menace d’un jour aux lendemains obscurs qui coulent dans ses veines et le détruisent, le rongent, le dévorent à petit feu ; une obsession métronomiquement réglée se met à le traquer. Mais déjà ses feuilles sont délectées par les vers immondes, les charognes qui ne cessent de l’interpeller comme lui dire : “ Regardes. Tu meurs ” avec un désagréable ton joyeux. Impertinents, ils continuent : “ Tu pars en lambeau, tu n’es déjà plus rien, c’est ainsi que nous t’aimons : impersonnelle, froide, matérialiste, concupiscente. Occupée par ton corps, ulcérée de ta Vie aux conditions serviles, bondée de remords : pleure, cela ne changera rien, de toutes façons nous te mènerons droit dans le Schéol le plus innommable ! ! ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! ”. Le rire théâtral emplissait déjà toute la Terre, et le peuple des enfants de la Création ne percevait pas non plus l’appelle au secours de la fleur. Le Petit Prince omniscient était partit de son coté voir les hommes, et elle, pauvre petite créature insignifiante n’avait désormais plus de protecteur attendrit, et plus d’épines qui de toute façon ne servait qu’à donner l’illusion d’une force fallacieuse ; le renard avait fait son œuvre : “ je n’ai pas su t’apprivoiser, mon tendre Petit Prince ” se lamenta-t-elle. Les larmes les plus épaisses de sa vie roulèrent sur ses joues, elle ne pleurait jamais, elle n’en avait pas le droit : “ il faut se montrer forte ”. Les vers montaient, les larmes tombaient… s’écrasant dans la poussière du monde telle une caisse vide qui résonnait au loin tel un tombeau ouvert à tous les rêves déchus. La corolle des pétales s’étiolait, perdant de leurs couleurs jour après jour ainsi que la vérité perd ses intimes : “ le paravent est loin, le soleil se couche. Amour insolemment, tu m’auras montré ton sourire édenté : Tu peux donc être fière de Toi, Ô Mort. Même lorsque je regarde les étoiles plus personne ne rigole… ”. Et la fleur soupira……
Prose 2Pourquoi les hommes sont des bons à rien...? - 8 juillet 2002, 00:20 d’après
les prélude et fugue N°4 de J.S.Bach, “ Personne
ne peut entrer à l’intérieur Si seulement on pouvait encore entrer dans ma vie... Personne ne le peut car je ne souhaite plus que mon âme baigne dans les sourds coups des douloureux effrois que les insipides et fallacieux font subir à l’humanité entière dans leur rage débridée de consumer la vie dans une extase diabolique et despotique. Si quelqu’un encore le voulait encore, malgré tout, je lui dirai : “ Que la chance soit avec toi, car il ne subsiste ici, qu’en ces terres stériles et arides, que désolation et chaos... ” La rose n’est plus arrosé par un petit prince, qui ignore la beauté du simple de son petit rire moqueur, et recherche, dans sa frénésie, la perfection, dans un aveuglement que lentement le broie. Seul le chant d’une fugue de Bach au loin point dans l’horizon évanescent... un chant de l’âme qui sommeil en la pensée abyssale, et croît d’une stagnation morbide d’une activité souterraine grandissante... Ainsi, mes Frères, mes Sœurs, je vois couler les jours de ma vie tels les grains du sablier du temple de mon corps... passent les lourdes nuits, meurent les tendres espoirs, trépassent les langoureuses étreintes... et finalement, vole mon esprit aquilin, croisant les hautes sphères des harmonies suprêmes pour laisser enfin Adam et Dieu se toucher du doigt en un rêve d’un improbable et onirique lendemain... 00:25
Prose 3Le 14 juillet 2002, entre 15 heure 30 et 15 heure 55 … Le romantisme est mort, c’est moi qui l'ai tué, d’une balle dans la tête, afin de l'achever, vite, sans douleur, pour qu’il ne souffre plus… c’était bien plus “humain” que de laisser ainsi un pauvre diable candide hériter de toutes les misères de l’Âme humaine noire, au cœur desséché, aux croûtes purulentes. Il hurlait, comme un fauve, à mes oreilles, la nuit, m’étranglant de solitude dans la torpeur de mon lit gelé ; un soir qu’il était bien seul, il vint à ma rencontre, lors d’une nuit d’évasion, loin des tourments que le quotidien sait m’infliger. Ses yeux inondés de larmes lourdes, baignés de chagrins amers croisèrent les miens et m’interrogèrent. Nous communiâmes au bord des sites éphémères que partageaient indéniablement nos même tourments, nous nous enlaçâmes pour nous consoler l’un l’autre de nos chagrins réciproques. Point n’était besoin d’autre chose que ce simple geste pour moi, pour lui, car déjà c’est bien plus qu’il n’y paraît car cela venait du cœur sans autre prétention que la pure bonté, et cela hélas nous manquait. Il parla, il parla abondamment, il me montra ses blessures ; celles qu’il s’était infligé, et celle que d’autres lui avaient avidement faite… ils lui avaient dévoilé la face du mensonge, du mensonge le plus commun : de belles dents bien propres, une beauté intérieure inventée et surfaite, une apparence qui était bien horriblement trompeuse, à la quelle il avait malheureusement tant de fois succombé… et lorsque ce qui était convoité était obtenu, il n’avait plus que vaguement une place dans le décor… il ne fallait faire de bruit, être juste là pour satisfaire, et encore… Nous fondîmes tant l’écorchure qui était sienne n’était aussi que trop mienne… rassasiés de nos vies, il reprit la route, il faisait noir, la brume au loin, poussée légèrement par une brise lente, me le faisait disparaître ; je retournais me plonger en mon arctique… Un soir il revint, tout de bleus couvert, tout de crachats englué, tout quasiment de sang vidé… Le romantisme est mort, et c’est moi qui
l’ai tué…
IntermèdeMens moi sans hommage…
Prose 4 écrite les 15, 19 juillet
Un regard, un instant fugace, et déjà, tu te
rapproches... tu me parles et tu fais semblant de boire mes paroles,
patiemment, avec une attention touchante (même si finalement
feinte...). Je te parle, tu me souris, et même s’il pleut
et que cela brouille les yeux, on est bien l’un avec l’autre, au
bord des terrasses du Paradis, tout d’un coup ne semblant plus artificiels... “ NON ! ... ”...
Prose 5écrite le 22 juillet 2002 Dis… dis moi, toi, le tendre… toi, qui me tends cette main, cette main, large et douce, aux contours délicats. Toi aux pupilles brillantes de joie quand tu me vois, toi m’accueillant toujours avec le sourire de la réjouissance, pourquoi le fais-tu ? Pourquoi agir ainsi ? Pourquoi venir hanter les vestiges de la terre stérilisée et morte qu’est devenu mon cœur ? … qu’est devenue mon Âme ? Ne vois-tu pas que la main qui s’avance me trouble, embue ma vision, fait grelotter mes membres déjà tout tremblants de l’anxiété qui empli ma vie ? Laisse moi la paix, ou parle, et sois sincère ! … Non ! Non, arrête de courir dans ma tête… Doute, tu m’égares en de profondes incompréhensions, en de torrides exaltations qui ont annihilées mes forces vives et intérieures… Tu me replonges dans l’éternel questionnement à cause de cette main, et tu éviscères les immanences et les arborescences de ma conscience ; tu me tues ! (et pourtant, je sens tout au fond de moi que ce n’est pas là ce que tu souhaites…) Et ce regard qui persiste sur le mien… ce regard… mais qu’est ce qu’il veut dire ? Je suis privé de mon discernement quand mon cœur bat à tout rompre, quand ma vision se trouble, quand ma bouche s’assèche - comme subitement pleine de verre brisé, que mes jambes me font chuter, que mes pensées font plus de bruit - me donnant l’envie d’étouffer de mes mains ma tête réclamant le silence qui refuse de m’apporter sa grâce - que la légion de tous les morts que l’humanité compte ! (comme me couvrant de leurs plus hauts sarcasmes) Ah, que tout ceci m’oppresse ! … Mais, vois le ! Parle ! Dis ! Dis ! D… “ Je veux que tu sois parmi les rares personnes que j’appelle mes amis car je ne veux pas entacher notre affection réciproque d’un élément qui serait destructeur… ”. … Je suis désormais libre d’exprimer mon bonheur d’être avec toi sans avoir la crainte rampante que mes cauchemars, maintenant quotidiens, ne s’accentuent ; car si tu es simplement mon ami, alors toi, tu ne seras que bon avec moi, et tu seras le plus beau jour de ma vie, en toute humilité, car nos échanges seront vrais et purs, car j’ai peur de l’Amour plus que de la mort et de l’oubli, car j’ai peur d’accorder ma vie plus que de subir la souffrance et la maladie, car l’Amour est la lèpre maudite qui fait de moi désormais une loque errante avec le vent comme unique compagnon de route… Gloire soit rendue à l’homme vrai ! Malédiction à toi, le peuple des menteurs ! Sois renvoyé au monstrueux enfer qui t’accoucha !
EpilogueTouche moi sans honte... |
A Joseph Trotta Accumulés, croulant, disparaissant, rejaillissant dans une colonne dantesque de papier, les livres sont ici chez eux. C’est leur domaine, placés entre amis ou haines d’éditeurs, comme voisins malgré eux. Une pile est déplacée, voilà qu’elle tombe. Apparaît providentiellement le livre recherché depuis toujours par quelque bibliomaniaque. Déambulant dans la caverne, coincé dans une impasse de reliures, marche arrière, il faut bien se retrouver dans le labyrinthe d’encres et d’imprimés. Mais l’image dominante en ce lieu, c’est la tour. Babel des langues réunies par la grâce bouquiniste, latin et russe se gaussant de frontières, esperanto et français voisinent, théâtre de Labiche en duel avec Camus, beuglements du Flaubert apprivoisé, médecine narguant la religion, opéra et série noire: grand ballet où valsent les lecteurs. Amateurs et clients pillant les bibliothèques écartelées —pont roulant, naviguant sur leurs rails, faisant coulisser en flux et reflux des bataillons de livres au sein du paquebot aux multiples ponts qu’est devenue la boutique. Et le bouquiniste-commandant règne sur son empire de littératures, droit de vie et de mort sur ses sujets sagement rangés dans leurs étagères —ou filant sournoisement sous des piles obscures. Mais le grand maître reste le livre. Il est l’esprit supérieur, divinité aux noms et titres infinis, idole innommée à force de pages multipliées comme des pains de l’âme derrière de hiératiques couvertures. En cette Babel des livres, on peut s’engloutir avec délices dans la somme des divers savoirs du monde. Aussi les livres triomphent-ils de tout rival, protégés comme ils le sont par leur bastion aux défenses cumulées, avec autant de murailles qu’il y a d’ouvrages. C’est à dire une infinité de bouquins aux armures patinées, un univers de pages crissantes, un macrocosme de doctrines altières. Quelle que soit la divinité du moment, quels que soient les peuples qui l’édifient sur le papier, quelles que soient leurs langues et cultures, Babel des livres n ‘est pas prête de crouler. Fabien
BELLAT [le texte est affiché dans la boutique du bouquiniste Joseph Trotta]
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MALADE
(Je
dédie ce texte à mon ami Sébastien Erhard)
Je suis atteint d’un mal incurable.
Ce n’est pas un cancer, ce n’est pas un SIDA, ce n’est pas une tuberculose. Les médecins n’ont jamais été capables de mettre un nom dessus. Tous, ils restent perplexes devant mon cas.
Et pourtant, je sais que je suis malade. Que voulez-vous que je vous dise ? Ces choses là, ça se sent. Ou, du moins, je le crois. Le problème, c’est qu’avec ce machin là on ne peut raisonnablement avoir de certitude.
La maladie s’est-elle éteinte d’elle-même ?
Est-ce une accalmie ? Durera-t-elle longtemps ? Aurais-je une rechute fiévreuse demain ? Ou tout à l’heure ? Ou dans deux minutes ?
C’est cruel, l’ignorance de son mal.
Je suis persuadé que c’est l’un des pires.
Sournois, pervers, douloureux, inévitable, terrible, dégradant, ne laissant aucun espoir, telle est sa carte de visite. J’ai souvent rêvé que j’en guérissais. Cela m’aurait délivré de l’impitoyable dépendance qu’il me fait subir.
Mine de rien, on le croit bénin et, en fait, il vous torture dès qu’on parvient à l’oublier. Un instant sans penser à mon mal et – hop ! – le revoilà qui accourt au galop. Désespérant !
Quelquefois, je me dis qu’un petit suicide aurait réglé efficacement la question.
Mais, voilà, je me berce encore de l’illusion tenace d’une hypothétique guérison. Douce, indispensable et hypocrite illusion. La pression étant trop forte, il m’arrive parfois de hurler détresse, d’exprimer le calvaire qui m’habite en un rédempteur éclat…de voix. Après tout, ça soulage.
Enfin, on fait avec les moyens du bord.
Mais n’allez surtout pas me prendre en pitié !
Je vous regarderais alors avec un viscéral mépris. C’est que ma maladie, j’y tiens ! Elle est ma lumière, ma vie, ma mort, mon espérance, ma raison d’être !
Enlevez-la moi et je ne suis plus rien.
Ca, ce n’est pas une chimère. C’est ma dernière certitude.
Car je sais que je suis atteint du plus flamboyant des maux, du plus irremplaçable des fléaux, du plus enviable des virus.
Je suis rongé par le plus beau des dons empoisonnés légués à l’humanité.
Je suis malade de littérature.
Fabien BELLAT
Paris, 21 octobre 1999
FABIEN BELLAT, OU LE LOUIS-QUATORZIEN MALGRE LUI Préface
aux Ephémérides de Versailles S’il existe sur terre une manie qui m’est désagréable, c’est bien celle qui consiste à placer –avant un texte !- une préface qui lui est consacrée. Je suis sûr que vous éprouvez comme moi une sainte horreur à l’idée de vous voir imposer une vision du livre étrangère à la votre. Répétons-le une fois pour toutes, la fiction n’est valable que si elle ouvre sur d’autres fictions, différentes entre elles selon la personnalité du lecteur; dans cette optique, comment voulez-vous qu’une préface soit autre chose qu’un tuteur tyrannique pour la folle imagination ? Qu’il me soit donc d’avance pardonné d’être, pour un temps, un lecteur privilégié de ces Ephémérides de Versailles : je n’ai pas l’intention de savoir les lire, et vous ne trouverez dans ces pages, pauvres boulimiques de connaissances que vous êtes, que suggestions de réflexions entremêlées d’interprétations évoquant fort des calembredaines, toutes phrases que vous devrez oublier dès que vous entrerez dans le texte proprement dit : c’est alors que commenceront les choses sérieuses. Maintenant que j’ai assuré ma défense, permettez-moi de commettre ce petit sacrilège, terriblement égoïste mais tellement agréable, qui consiste, en dépit de toutes les règles d’un bon roman d’aventures, à raconter la dernière page : Fabien Bellat quittera Versailles. Car la question finit inexorablement par se poser à l’esprit du lecteur, tiraillé jusque dans ses intestins par un terrible suspens hollywoodien : partira-t-il vraiment ? D’abord engagé comme gardien auxiliaire pendant l’été, notre héros acquiert de page en page et sous nos yeux de courtisans la propriété du château. « Versailles m'appartient » nous dit-il textuellement alors qu’il rôde dans une aile encore déserte au petit matin. Et de manier les clés, et de prendre possession des lieus … En fin de compte, Fabien Bellat trouve au château un triple statut : garde, guide, et propriétaire. Garde, il l’est officiellement, avec la bénédiction de la République, qui, aveugle comme elle est, a imprimé sa marque côte à côte avec sa signature. Mais c’est sous le masque qu’il s’approprie les titres de guide et de propriétaire, par un entrelacement de la cause et de l’effet, le maître des lieus devenant amphitryon et le connaisseur devenant acquéreur ; c’est tout un jeu que l’écrivain développe vis à vis de son décor. Prenons un exemple, parmi cent : il nous dit malicieusement, à propos d’un de ses collègues, qu’il mérite d’en être « le possesseur en esprit ». N’est-ce pas revendiquer pour lui-même, de façon tout à fait explicite, une action du château ? Le maître des clefs est aussi celui du domaine et celui des mystères. Il faut dire que cette triple appropriation est assez représentative du personnage, qui n’aime rien tant que ranger dans sa poche les scènes sur lesquelles il joue. Ouvrons une parenthèse nostalgique : j’ai connu Fabien Bellat au lycée Condorcet, et déjà il avait ce regard passionné et pressé dans la découverte des lieus qui nous entouraient. Pour nous il organisait les visites guidées des grands sites parisiens, rentrait dans n’importe quel bâtiment un peu intrigant sans y être convié, aussitôt qu’il avait trouvé la porte de service, et choisissait implacablement pour préparer ses exposés des contextes architecturaux exceptionnels. Souvent les églises avaient sa préférence. Je me souviens particulièrement d’avoir répété un commentaire sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat au cœur de Saint-Augustin : autant le futur chroniqueur était à l’aise, autant son malheureux préfacier était gêné. Tel est F.Bellat : il s’approprie les décors dès le moment où il y pénètre ; la rue elle-même devient son territoire, et il faut avoir la force d’un marcheur confirmé pour le suivre sans être semé quand il s’aventure dans les méandres des boulevards parisiens. J’en ai fait la triste expérience, moi qui tiens plus du rang d’oignons que du randonneur. (Comme chacun sait, les oignons sont particulièrement immobiles.) Esquivant un passant à gauche, doublant un touriste à droite, il enregistre sans s’arrêter les dates et les styles des monuments qui l’environnent. Pas de flânerie inutile : il sait toujours où aller, même s’il n’en avait aucune idée avant. En somme, c’est de cette manière qu’il nous fait la visite de Versailles : traversant sans escale les salles et les époques –à votre gauche le salon de Mercure, et sur votre droite vous pouvez apercevoir l’antichambre de la reine, par ici Messieurs-dames, ne traînons pas s’il vous plaît- pour s’arrêter dès qu’un détail particulier fait naître une vision, avec ou sans ordre de ses supérieurs. F.Bellat est alors comme en transe et il semble se laisser pénétrer par le décor : le Palais s’invite à l’intérieur de son enveloppe terrestre, à tel point qu’on ne sait plus, à travers les lunettes du narrateur, si c’est le monde qui regarde Versailles ou Versailles qui regarde le monde. Les images et les mots tombent, dictés par une écriture anti-surréaliste : ici règne le Lieu, et l’esprit comme l’inconscient se prosternent devant le Grand Pan géographique. Les salles et les tableaux foisonnent ? Fort bien, les mouvements foisonneront de même dans la narration de ces Ephémérides. Pourtant, on se souvient des débuts surréalisants de ceux qui n’appelaient pas encore leur bannière Erbefole, mais l’Expérimentalisme, et auxquels Bellat a toujours apporté de nombreuses contributions : peut-être le Château est-il un de ces lieus d’Absolu devant lesquels on ne peut que se renier ? Toujours est-il qu’il me faut, malgré tout, admettre que l’artiste ne se contente pas de recevoir : il recrée, il déforme, il remodèle, il oppose aux ordres du décor sa propre résistance, et s’installe, non plus seulement comme témoin ou médium, mais comme acteur ironique de la nouvelle vie des murs. Ne trouvez-vous pas étrange que ce soit en entrant dans la Galerie des Batailles qu’il nous parle de son décalage avec les pierres défuntes de Versailles ; que ce soit dans cette même Galerie des Batailles que se rassemblent les Chevaliers de Malte, lors de l’épisode le plus mystérieux du Journal ; et qu’il aille jusqu’à revendiquer, en plus de cette éternelle Galerie des Batailles, une Bataille de Versailles ! Allons, ce serait naïveté que de croire là à des coïncidences nées de ses obligations professionnelles. Tout vous apparaîtra clairement dès que je vous aurai rappelé l’origine latine de Bellat : bellatus, qui fait la guerre. Eh bien, n’est-ce pas là l’ironie la plus ambivalente qui soit ? Il y a même plus sournois encore : prévoyant les médisances que j’allais répandre sur son compte dans cette préface, il s’est hâté de dresser mon portrait (déguisé, bien sûr) en la personne de ce fameux François Lemoyne qui apparaît ici, je cite, comme « le Premier Peintre du Roi » (vous-ai je déjà parlé des ambitions régaliennes de Bellat ?) et de qui il nous précise : « L’œuvre de Lemoyne cache tout Versailles à elle-même ». Ma fonction de préfacier semble à chaque ligne avoir un objet plus flou, au fur et à mesure que Fabien Bellat s’invente de nouveaux personnages et change de casquettes pour endosser celle de pompier ou de chasseur de touristes. Aussi la fin de l’écriture, telle qu’il la propose, est-elle ambiguë. Il ne veut pas comprendre, mais modifier. Jamais il ne s’agit d’être visuel, mais d’être visionnaire. Quelle approche le néophyte peut-il avoir de Versailles, sinon celle à laquelle nous ont habitués le cinéma et les images d’Epinal ? Instinctivement, nous lui donnons une double perspective, spatiale et temporelle : le Grand, l’Ancien Versailles. Un bâtiment marqué par les ans et les intrigues de cour, un peu poussiéreux sans doute mais évoquant les grandes époques révolues de l’Histoire de France avec ses majuscules, sans plus de précisions. Aussi ne peut-on s’empêcher de faire siennes les remarques des touristes ; je sais pour ma part qu’un château m’impressionne d’abord par la hauteur de son plafond et par la date de sa construction. Ou du moins que j’enveloppe dans la même catégorie vague et inconsciente le Louvre, Versailles et les Invalides, sans m’acharner à les distinguer. Mais F.Bellat n’est pas un touriste, et le lecteur de ces Ephémérides sait que c’est un point qui lui tient à cœur. Son imagerie versaillaise, ce n’est pas celle des livres d’histoire, ce n’est pas non plus celle du cartographe, c’est celle d’un artiste-historien se revendiquant comme tel. Les lettres et l’histoire ont toujours fait bon ménage, mais osciller ainsi entre les deux relèvent d’un équilibre pour le moins subtil, que l’on pourrait même qualifier de précaire ; c’est sur ce fil que marche délibérément F.Bellat. Evoquons au passage le roman qu’il prépare depuis longtemps, épopée fantastique du pouvoir et de la conscience, dans lequel votre serviteur a l’honneur de servir de source pour un personnage. Notre auteur y tient -déguisé- son propre rôle, mais sous la fonction d’historien du régime… Que l’écrivain ait pour objet de mettre par écrit non seulement les images du passé, mais aussi celles du futur, voilà bien un trait représentatif de l’écriture de Bellat. Ainsi, nous avions le Versailles du passé et celui du présent, celui de Louis XIV et celui de Sacha Guitry, celui des touristes, appareil photo en bandoulière et celui de la Révolution française, celui de Bismarck et de Clemenceau et aussi celui de Bruno Podalydès… Fabien Bellat leur oppose un Versailles de l’instant, où le temps et l’espace fusionnent dans une vision-cathédrale. De là viennent ces pages furieuses où le château s’emporte au delà de toute mesure, où les œuvres s’animent, où les murs se cabrent. Ne nous y trompons pas. La visite qu’il nous est donné ici de faire n’est rien moins que révolutionnaire. F.Bellat, sur ses manuscrits, utilise de l’encre rouge (ou noire, ce qui n’infirme pas mon propos). Belle ironie dans la transformation du site versaillais classique en un cadre de révolution… Si Marx avait signé le Capital avec Bellat, le livre se serait intitulé la Culture et la face du monde s’en serait trouvée changée. Parfois, c’est Trotski qui semble apparaître pour faire table rase de la tradition : du moins il s’agit bien de tout bouleverser. « Versailles, lieu du fantastique classique », dit-il. Ces Ephémérides font naître les images là où elles n’apparaissaient plus à force de ressassement ; elles passent l’aspirateur dans des coins d’Hardouin-Mansart où s’accumulait la poussière. Qu’on me pardonne de le citer un peu longuement : « Versailles a suscité tant de proses dithyrambiques et médiocrement inspirées, dont la sécheresse dénature, caricature le concept du classicisme qu’il est grand temps de reconsidérer la poésie versaillaise. Pourquoi alors ne pas recourir au baroquisme ? Versailles aussi incarne une manière baroquisante, sous la solennelle défroque Louis-quatorzienne. Pour le recours surréalisant, l’approche semble plus ardue, mais le décalage d’un tel monument en notre époque inapte à l’épique est étrangeté ou bizarrerie en soi. Versailles encore autorise tous les rêves… » Il s’agit donc de rêver Versailles. A l’heure où l’image est –aux deux sens du mot- cliché, F.Bellat revalorise la vision. Sans doute pas tant celle de l’écriture automatique surréaliste que celle du chamanisme indien. Le château joue ici le rôle du soleil que les jeunes sioux fixaient pendant des heures jusqu’à ce qu’il pénètre en eux –Grand Esprit aidant- et leur fasse entrevoir la Vérité. Avec Bellat la visite versaillaise se fait initiation, et chaque salle est une marche de plus vers l’accession à un absolu. Cet absolu, si fondamental qu’il mériterait bien une majuscule, cet Absolu, donc, dont il faut bien parler à un moment où à un autre, cet Absolu, dis-je, ce serait l’Art. Avec une autre majuscule. L’Art avec ses temples et ses idoles, dont il est à la fois le guide et l’initié. L’Art, avec son histoire et ses mouvements, avec la vivacité de chaque œuvre et de chaque instant. Ce qui se joue dans cette initiation, c’est l’intégration du nouveau présent, de la nouvelle vision à la somme des précédentes. Nous pouvons parler de révolution de l’esprit, d’intronisation de l’éphémère. Il faut alors une nouvelle langue, apte à traduire un nouveau regard. Une langue qui ne se positionne plus en fonction d’un credo arbitraire mais qui se réenchante au mépris de la syntaxe. Et ce n’est pas un hasard si je parle d’enchantement. Le désordre apparent des phrases nous incite à rapprocher le texte des Ephémérides d’un grimoire magique capable des pires maléfices. Lisez ces pages à voix haute dans la Galerie des Glaces : quinze touristes tomberont foudroyés, ou bien les Glaces reflèteront brusquement d’autres temps et d’autres cieux, ou encore vous trouverez à vos pieds un gobelet en lapis-lazuli. En tous cas le château vous entraînera dans une dimension spatio-temporelle inconnue et vous ouvrira des portes insoupçonnées ; gare au dédale. L’incantation fantastique hante Bellat. Elle le pousse à s’acharner sur un sentiment, sur une émotion, et à multiplier les expressions qui le ou la définissent –avec un certain désespoir. Elle le pousse à transformer, toujours, toute chose en ce qui lui ressemble : l’Orangerie en forêt, le château en pachyderme. Le style ne décrit pas seulement ce qui est, mais ce qui pourrait être. Aussi, de temps en temps, ces Ephémérides virent au poème narratif. Bellat n’a jamais réussi à briller dans ses poèmes versifiés, dans l’ode ou dans le sonnet, (il le reconnaît lui-même) et il se venge en tirant ses phrases vers la musique, cette musique qui le tente toujours. Parfois, pour quelques lignes, le ton évoque l’épopée en prose, celle qu’il a exprimée dans les Villes évanouies ; le récit est poétisé. Ce n’est pas pour rien que Bellat écrit en écoutant l’opium philharmonique : les danses slaves de Dvorak, fond sonore de la composition des Ephémérides, s’en rapprochent par la combinaison des genres. L’alliance de la musique classique et de la tradition populaire conduit dans l’écriture au voisinage du trivial et de l’éloquent ; et en définitive, la phrase versaillaise est tout entière musicale, faite d’envolées et d’éclats suivis de radoucissements mélodiques. C’est à cette frontière entre le sens clair et le son déclamé que l’incantation doit avoir lieu. Oralité et renouvellement : la phrase bellatesque participe de ces deux domaines. Elle réunit l’âme primitive marquée par ses besoins naturels et la suprême décadence de l’art désincarné. Elle s’oriente donc doublement vers une temporalité déconstruite. Pas de monument intemporel, mais bien des « éphémérides », simplement mises au jour. Le terme est à prendre à la fois au sens étymologique du récit au quotidien et au sens plus courant de ces retours périodiques des anniversaires et des fêtes. Ces Ephémérides de Versailles développent non seulement le journal d’un gardien temporaire du Palais, mais aussi l’insertion de chaque seconde au sein d’une Histoire centenaire, faite de souvenirs cycliques et de célébrations annuelles. On rêve d’une présentatrice de la météo qui conclurait en disant : « Demain, 23 juin, nous fêterons les colonnes de Jules Hardouin-Mansart » … D’autres approches de Versailles sont possibles, on l’a vu. Pour ma part, j’imaginerais volontiers une vision basée moins sur le souvenir que sur la pérennité du Palais. Le Château est d’abord un bâtiment, et la résistance au temps se fait dans la durée au moins autant que dans l’instant. Mais Bellat a suivi le conseil de La Fontaine, et a abandonné le chêne-éternel pour le roseau de l’éphémère. « Tous veulent leurs Eternides de Versailles », dit-il. Lui dédaigne un tel faux-semblant. Bref, ici, l’éphémère est le roi authentique, et nous entrons dans sa chambre. Le style volontiers démesuré de Bellat reflète seulement l’universalité du souverain. Chaque phrase nominale est un portrait à la gloire de la finitude. Chaque digression est une moulure supplémentaire pour la salle du trône. L’écrivain vient décorer un palais imaginaire, construit sur les souvenirs et les prospections. L’artiste est donc décorateur royal, hagiographe peut-être. Les rapports de l’art et du pouvoir prédominent dans l’œuvre de Bellat. On les retrouve dans son roman, où les tyrans s’appuient sur une maîtrise intégrale de la culture afin de dominer leur petit univers. Ici, le château versaillais porte la marque Louis-quatorzienne, et à aucun moment le palais ne perdra cette référence au pouvoir absolu. Dans la légende encore, c’est par l’art et la beauté d’un objet précieux que le roi va pouvoir s’immortaliser et continuer à exercer son hégémonie sur les générations suivantes. L’Art est à la fois quête du pouvoir (tel cet ancien aristocrate qui fouille le jardin pour retrouver le gobelet) et moyen de le conserver. Alors on comprend mieux l’origine des Ephémérides. Gardien de Versailles, Bellat s’est vu institué gardien de la monarchie elle-même (cette affirmation le fera bondir, mais tant pis, c’est ma préface) : et quelle meilleure protection que celle de l’écriture, quand elle tend à l’œuvre d’art ? Quelques temps après la rédaction de ce texte, désormais gardien au centre Pompidou, notre écrivain s’était demandé s’il pourrait réaliser un deuxième journal sur cette autre vitrine culturelle, mais le projet n’a pas dépassé le stade de la conception. « Il manquait irrémédiablement quelque chose, confie-t-il : la magie. » Cette magie, au risque d’être désuet, c’est celle qu’assurent des siècles d’Histoire et la marque d’un pouvoir absolu, passé et peut-être à reconquérir. Là est le paradoxe de Versailles : c’est dans le lieu des souvenirs et du trop-plein patrimonial que peut se jouer la réinvention du jour et sa transfiguration en esthétique. Seul un monde porteur d’immobilité permettra à l’instantané de se déposer sur la page d’écriture, comme la chambre noire nécessaire au développement des rectangles de lumière. Car la vie ne peut apparaître qu’en prenant appui sur la mort des choses, et seule une part de néant peut donner au démiurge la force de la création. Toute écriture est tension ; émergence et intégration d’une nouveauté radicale à un donné qui semble, une fois pour toutes, immuable. Versailles est le lieu d’un combat. L’héritier du Grand Siècle part en guerre contre la vile populace, accusée des crimes infamants de médiocrité et de stagnation. Il bataille pour le trône, défie la piétaille, met en jeu la propriété du château et finit par se l’approprier. Pourtant nous voilà revenus à ce qui faisait l’objet de nos premières remarques : Fabien Bellat a quitté Versailles. Il s’est tout autant abstenu d’escalader l’échafaudage pompidolien que de monter sur le trône du roi Soleil. Abandonnant toute velléité d’impérialisme, il s’est laissé guider par son sentiment démocratique et a quitté les lieux. (Re)lisons plus attentivement les pages finales où l’artiste/guide/historien de l’art fait ses adieux au château. Dans l’opéra, il choisit pour s’installer la loge royale, telle « une auguste majesté admirée par sa courtisane piétaille », et pouffe, réalisant immédiatement le ridicule de la situation. J’aime le symbole de ce visiteur devenu châtelain, qui se révèle incapable de trouver la sortie. Devenu prisonnier de sa vision, le roi redescend, vers les fauteuils d’honneur, sur les planches, sous le parterre, et, quelques pages plus loin, « se fond dans le décor ». Comme un propriétaire qui finit par ne faire plus qu’un avec son domaine, et qui laisse une part de soi en le quittant. A la fin de la visite, rentrant à Paris dans un car de touristes, menés par son amie et collègue en Histoire de l’Art Sylvaine Plantard, Bellat refuse de laisser sa vision du château s’évanouir au contact de ses occasionnels compagnons de route. En roi dépossédé, il nous tend sa couronne sous forme d’encre et de feuillets. Il y inscrit, en lettres de feu, la maxime éternelle de tous les meneurs de jeu : « n’oubliez pas le guide ». Bien sûr, Bellat vous dira que son attachement à la démocratie est sans faille, et que rien n’est plus loin de ses ambitions que le pouvoir. Bien sûr, la fascination pour la monarchie est inséparable de la condition même du visiteur versaillais, attiré et écœuré tout à la fois par le pourpre. Bien sûr, nous ne voyons ici qu’un artiste, aux prises avec la douloureuse question de la servitude vis à vis du trône, et finalement vainqueur dans la revendication de son indépendance. Bien sûr. Mais méfions-nous tout de même. Il ne faudrait pas lire ces Ephémérides comme la manifestation d’une nostalgie envers le roi Soleil et l’époque bénie de l’absolutisme. Messieurs les dictateurs en herbe qui allez commencer la lecture de ce journal, n’y cherchez pas la justification de l’alliance de l’art et du pouvoir en vue de manipuler les petites gens : au contraire, c’est à la révolution esthétique permanente, à la réappropriation par chacun de toute forme d’art que nous convie Bellat : à la recréation des standards de la culture dans la connaissance vraie, pour que le paysan puisse, à son tour, prendre en main le gobelet d’or. Vous voilà donc, cher visiteur versaillais, au seuil d’une œuvre profondément hybride : élitiste et démocratique, classique et révolutionnaire, réelle autant que fictive. En lisant les Ephémérides de Versailles, vous vous demanderez sans doute dans quel registre littéraire vous vous situez, dans le poème en prose ou dans le journal intime. Vous vous révolterez contre ces phrases alambiquées aux adjectifs si curieusement pré-nominaux. Et puis vous prendrez goût à cette poésie quotidienne et un brin décalée, et peut-être en redemanderez-vous. Alors, vous pourrez écrire votre propre postface.
EPHEMERIDES DE
VERSAILLES 23 Juin 2001 Versailles gare rive droite, 7h22. Traverser la ville : quelle
corvée. Façades grise. Murs délavés
sans âme sans style sans vigueur. Toute une petite cité
à cette image. Des morts-vivants. Au petit matin, voici l’impression
qui semble devoir correspondre aux habitants de ce déliquescent
écrin. C’était une parade. Les militaires semblent révérer
un décorum dépareillé. Quelques pompons de
marins se perdent contre l’esplanade du parterre Nord. Des grades
rencontrent partout la même indifférence de décors
conçus pour d’autres célébrations. 8h 07. J’abandonne les chevaliers
survivants. Ce pour errer parmi les salons encore déserts.
J’y photographie ce que je vois, en vrai touriste. Cependant, un
touriste un peu favorisé. Puisque Versailles m’appartient.
Nulle âme qui vive au sein des pièces aux allégories
déclamant sans public. Aucune ombre humaine en dehors de
la mienne pour troubler le silence religieux. Qu’importe, je poursuis mon
parcours. Les sabres sortiront des cadres et les impies
seront transpercés. Pour l’heure, je regarde ces fougueuses compositions
et elles me regardent. L’écho de mes pas s’éteint. Les guerriers sont restés suspendus dans leur héroïque action figée.
9 heures
Fontaine de Latone, 13h27
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[Note de l'Archiviste : le texte est en cours de typographie ; il sera bientôt mis en ligne]
VIEUX DICTONS POUR UN NOUVEAU MILLENAIRE
Proverbial… Le proverbe n’a pas d’âge. L’inventer s’avère problématique. Il faut alors s’élever hors du temps, s’élever au-delà de son immémorial, pour inventer un nouveau calendrier empreint de sagesse populaire. Qui vole un œuf vole un bœuf. Qui fait le beau temps pourrait faire la pluie… Comment retrouver l'attitude dictonesque ? En le singeant ? En s'en dégageant ? Ou tout simplement en le recomposant dans un esprit similaire mais neuf ?
En Janvier, donne-toi des défis sans dévier. *
Fabien Bellat, Clément Lemoine |